LE COMÉDIEN MARC HENRY

« Marc Henry, le voyageur dans la nuit »
J’ignore pourquoi, mais en ce mois de novembre 2015 je retrouve ce texte que j’avais écrit à l’occasion de l’hommage au comédien Marc Henry qui a joué dans la plupart des mes courts métrages
fantastiques.
« Marc Henry et moi avions un goût commun pour le magique, le fantastique, les fantômes, les vampires, la nuit … C’est pourquoi nos conversations tournaient le plus souvent autour de
ces thèmes.
Une première rencontre fantastique
C’était chez lui, dans le 9ème arrondissement. J’étais étudiant à l’école de cinéma (l’IDHEC) et je préparai un court métrage de fin de première année. J’avais vu la photo de Marc Henry au
« fichier électronique du spectacle ». Je me rappelle ce premier rendez-vous : lorsqu’il ouvrit la porte j’ai cru m’être trompé. Alors qu’il apparaissait frêle et timide sur la
photo devant moi sur le palier de son appartement il y avait un grand et fort gaillard qui m’invitait à rentrer chez lui, tel Dracula : « Soyez le bienvenu chez moi ! Entrez de
votre plein gré, entrez sans crainte et laissez ici un peu du bonheur que vous apportez »
Marc Henry s’était installé dans un fauteuil rouge dans l’angle d’une pièce quasiment vide, tandis qu’il m’avait mis à l’autre angle diagonalement opposé. J’avais expliqué timidement mon projet
(j’avais 19 ans) et lui il était parti dans un monologue assez théâtral sur le cinéma fantastique, Edgar Poe, « la chute de la maison Usher », Vincent Price, les films d’horreur anglais
…
Marc Henry était magicien aussi mais il avait arrêté le métier. Comme j’étais décidé à le faire jouer dans mon film il m’invita une semaine plus tard à dîner chez lui. Alors que nous en étions au
dessert – j’avais dans mon assiette une espèce de gros gâteau à la crème – Marc Henry sortit tout à coup de la cuisine en brandissant un grand couteau de boucher tel Norman Bates dans
« Psychose ». Il poussa un cri terrible, un cri d’horreur, et frénétiquement se mit à se planter le couteau dans l’autre bras ! Du sang jaillit en flots … de sa bouche aussi
coulait un liquide épais et rouge … Il agonisa à mes pieds … J’étais blême. C’était bien sûr l’un de ses tours de magie. Le « coup du couteau » ! Je ne
l’oublierai jamais.
Par la suite Marc Henry a hanté tous mes films. Parfois il ne fut qu’une simple apparition, quelquefois une voix, parfois un « vrai » personnage. Que sa participation fut
grande ou petite, il était toujours une présence. Une personne qui impressionnait son entourage, ses amis, la pellicule, enfin.
Anecdotes …
Après le tournage de « La Transition d’Ulrich Zann » où il jouait le « voyageur » dans le train qui file dans la nuit, il ne cessait de me poser la question : « mais
ce voyageur, qui est-il ? Le diable ? » Je n’ai jamais su quoi répondre, car moi-même je ne savais pas (et je n’en sais toujours rien) ! Si bien que Marc Henry finissait
par conclure lui-même : « vous savez, dans ce rôle, je ne me suis pas foulé ! ». Et pourtant il a donné à ce personnage à peine esquissé dans le scénario une inquiétante
étrangeté. Pendant le tournage, entre deux prises, il allait dormir dans un wagon pullman que l’on avait spécialement réservé pour lui … J’ignore pourquoi, on avait envie de le traiter en
« prince ». J’étais bien conscient qu’inclure Marc Henry dans un tournage était à la fois un plus … et peut être des tracasseries en perspective … Ce n’était pas simple, il n’était pas
simple. Dans « la Tombe » son partenaire a pris la mouche lorsque Marc Henry – croyant bien faire, mais à sa façon – lui a donné une leçon de diction … ! Les deux comédiens se
disputaient au milieu de notre cimetière en carton. C’était le film dans le film !
Il aimait bien « la Tombe ». Chaque fois il m’en parlait. Comme je lui disais qu’il faudrait refaire le son et ajouter des sous-titres parce qu’on n’entend mal la voix téléphonique, il
me répondait : « quand j’aurai de l’argent, je vous paierai un nouveau mixage … »
Pendant le tournage de « La Malédiction des Plumes » alors qu’il avait déjà des problèmes de santé il me disait : « Ah vous et votre malédiction des plumes ! » comme
si le thème de ce film était la cause de ses ennuis. Il était arrivé à l’INA, boitant avec une canne, toque de fourrure sur la tête et lunettes noires ! Le personnel de l’INA s’en rappelle
encore.
Alors qu’on s’affairait sur le tournage de « La Grande Plongée » il était plongé ( !) dans un bouquin sur la seconde guerre mondiale : « je lis les horreurs de la guerre
ce qui me font oublier l’horreur du quotidien ». Il était arrivé de manière théâtrale dans le restaurant où nous déjeunions avant de reprendre le travail. Tous les gens attablés dans ce
« routier » se sont retournés …
Même sa courte apparition en marmiton dans le film ne passe pas inaperçue. Il y a une personnalité.
Les Nuages
La dernière expérience professionnelle que nous eûmes ensemble fut l’enregistrement d’une voix off. C’était la maquette d’un projet de film documentaire sur les nuages. Marc Henry était
malheureusement bien fatigué après son opération des hanches et le reste. L’humour, perceptible encore, avait dû mal à s’opposer à la douleur physique. Lorsque je le rappelai pour le remercier de
sa prestation il me dit : « nous ferons de grandes choses ensemble ».
La mort, les fantômes, le cinéma …
Nous qui devisions tant sur l’au-delà, la mort, la vraie, est venue sans prévenir. Peut-être parlions-nous d’autre chose que de la mort, d’ailleurs. Peut-être bien que nous ne parlions pas de la
vraie mort, celle que l’on ne contrôle pas, celle qui nous échappe et prend, sans prévenir que l’on soit actif, passif, joyeux, triste, endormi, seul, accompagné.
Marc Henry demandait certainement beaucoup à son entourage. Il fallait se positionner au Nième degré pour comprendre qu’il n’était pas forcément sérieux … derrière le jeu il y avait une vraie
personne, sincère, sensible, cultivée, fidèle et généreuse.
Comme le Kane d’Orson Welles, chacun aura connu un Marc Henry – et Marc Henry est la somme de toutes ces facettes. Par exemple, il n’a jamais voulu que nous nous tutoyions. Pendant 18 ans nous
avons gardé un vouvoiement respectueux et distancié. Je croyais qu’il en était de même avec ses autres amis … Mais non, c’était seulement avec certaines personnes.
C’est avec la mort de cet ami que j’ai compris un aspect du cinéma : il crée des fantômes – tant que le support et le moyen de le diffuser existent. Marc Henry est mort mais lorsque je
déroule les bandes, je ne pense plus à sa disparition. Il est, pour un temps encore, bien vivant dans un monde que nous avons crée ensemble, celui du film, celui de l’histoire. Sur l’écran, il
vit, il bouge, il respire … il est ! C’est « l’invention de Morel », cette île littéraire où vivent en trois dimensions les fantômes de vivants morts depuis longtemps.
La mort nous invite à faire un inventaire : les souvenirs, les objets. En regardant les rayonnages de ma bibliothèque je constate que j’ai beaucoup de livres ayant appartenu à Marc Henry. Il
m’en a donné pas mal, il m’en a vendu quelques-uns lorsqu’il manquait cruellement d’argent. Le dernier qu’il m’a offert, dans un papier cadeau kitch, c’était après l’enregistrement de sa voix sur
les nuages.
C’est un gros livre qui a une bonne place dans ma bibliothèque : « Les Chefs d’œuvre de l’Epouvante » !
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Serge Feuillard (mardi, 26 juillet 2016 21:28)
J'avais rencontré Marc Henri Lestrille par accident. Il voulait devenir metteur en scène. Je lui ai conseillé d'apprendre d'abord le métier de comédien, pour comprendre à qui il aurait affaire, quand, ensuite, il voudrait diriger des acteurs.
Je l'ai adressé à un cours de théâtre, et je crois qu'il y a eu friction entre le prof (Jean-Laurent Cochet) et lui.
Je l'ai perdu de vue. C'était il y a bien longtemps.
Ce soir, j'ai pensé à lui, très fort, et d'une façon inattendue.
Je suis allé interroger l'ordinateur, et j'apprends qu'il est mort!
Que s'est-il passé?
Merci de me donner toutes les informations possibles.
Serge Feuillard.
Marc Charley (mardi, 26 juillet 2016 23:47)
Réponse au commentaire de Mr Serge Feuillard : j'ai moi-même appris le décès de Marc Henry par un appel de l'Adami. En 2003 je crois bien (à vérifier car le temps passe ...). La dernière fois que je l'ai vu il était très amaigri, était très malade mais je n'ai jamais vraiment su de quoi.
Serge Feuillard (mercredi, 27 juillet 2016 16:36)
Merci pour votre réponse.
Je me demande aussi ce qu'est devenue Sylvie Ronchetti, aussi comédienne, et aussi élève du même cours. Il m'a été dit qu'elle serait morte, ce qui m'a étonné et bouleversé. L'avez-vous connue, avez vous des nouvelles?
Merci d'avoir été si prompt à répondre en ce qui concerne Marc-Henri.
Serge Feuillard.
Marc Charley (jeudi, 28 juillet 2016 09:40)
Non je n'ai pas connu Sylvie Ronchetti. J'ai rencontré Marc Henry en 1986 alors que j'étais encore étudiant à l'Idhec. Il était comédien et aussi magicien puisqu'il a eu une carrière sous le nom d'Hilarouf ! Tout un roman.
Cornelia Klara Poupard WILMS (vendredi, 29 novembre 2019 13:19)
Bonjour, mon ami, frère de cœur et de l’âme!
Grâce à Marc Henry j’ai été aux cours de Jean Laurent Cochet et d‘avoir trouvé un ami!
Il me manque depuis sa mort toujours incompréhensible et de mystère.
Cornelia von Patapouff le nom que MH m‘avez attribuer
Marc Charley (vendredi, 29 novembre 2019 13:39)
Bonjour Cornélia
Merci pour votre message. Vous pouvez me contacter directement via la page "contact" de ce site pour nous donner des nouvelles. Bien à vous. Marc
danytrick901@gmail.com (jeudi, 16 juillet 2020 09:47)
Bonjour,
Excellent article, passionnant!
Je suis magicien et bibliophile et fus très marqué par les émissions de magie de M. Hylarouf, sur la 1ère chaîne.
Pourriez-vous me dire s'il possédait beaucoup de livres consacrés à cet art? Il n'a pas la place qu'il mérite au Panthéon de notre art.
Dany Trick
Simon Michel (samedi, 11 juin 2022 10:06)
j'ai très bien connu MH(de Bonzon!) Lestrille, et suis surpris d'un aussi beau portrait car j'ai éprouvé sa face sombre, ternie par une certaine incompréhension. Sans doute ai-je beaucoup perdu, et lui aussi, à ne pas mieux "voir"? De même pour son plus cher ami, qui aurait pu devenir le mien, etc. Nous avions moins de 20 ans... Heureusement je n'accorde aucune importance au passage du temps. Est-il toujours temps, dans l'absolu? J'espère que oui. Amicalement, Michel