
GÉNÉRATION PROTEUS
UN FANTASME CALIFORNIEN
Plusieurs décennies avant que l’informatique - on dit le « numérique » aujourd’hui- s’invite ou s’impose selon … dans tous les foyers simplifiant ou complexifiant les actes quotidiens, le film GÉNÉRATION PROTEUS » interrogeait déjà en 1977 la fondamentale question de l’automate ou du robot : la machine « intelligente » va t-elle m’aider ou me remplacer ?
La problématique est plus que jamais d’actualité 45 ans plus tard.
Car il s’agit bien d’une machine construite et assemblée par l’homme dans ce film : un super ordinateur nommé « Proteus » a été conçu par des ingénieurs dont Alex responsable du programme. Proteus qui ressemble à un agencement de grosses bobines électriques, entre le transformateur et le super calculateur de « Planète interdite » (1953) habite un bâtiment moderne dans le désert californien. Mais il peut aussi gérer à distance (internet avant l’heure …) dès lors que l’on met à sa disposition des terminaux.
Tel un assistant vocal de nos « smartphones » Proteus parle et répond également aux questions de manière un peu énigmatique il est vrai.
Proteus pose ainsi une question troublante à son concepteur Alex : quand allez-vous me faire sortir d’ici afin que je me développe ? Alex ne s’attendait pas à un telle question de la part de « sa » machine. Celle-ci d’ailleurs s’était déjà opposé peu auparavant à une tâche qu’on venait de lui confier : concevoir un plan pour pour extraire des minéraux du fond des océans. Proteus considérait que ce n’était pas « bon pour la planète » et avait laissé les hommes en plan. C’est dire que ce super ordinateur a du caractère. Légèrement inquiet Alex ferme électroniquement les portes à Proteus en lui barrant l’accès aux « terminaux » … sauf un … celui de sa propre maison.
En effet la femme d’Alex Susan vit un peu plus loin dans une superbe villa classique dans sa conception/décoration mais ultra moderne car totalement gérée par un ordinateur de maison bienveillant nommé Alfred. A la demande c’est lui qui sert le petit déjeuner, ouvre et ferme les portes et volets, allume ou éteint les lumières, une domotique avant que le terme existe. C’est top quand ça marche.
On comprend que le couple Alex/Susan est arrivé à un moment de rupture. Alex s’absente souvent pour des raisons professionnelles (s’occuper de Proteus). Un de leurs enfants est mort de leucémie et leur fille (?) qui vient de temps en temps semble souffrir de problèmes mentaux.
En un tour de main numérique, Proteus va chasser Alfred, prendre sa place, prendre le contrôle de la maison et surtout … prendre femme ! Son objectif est de s’incarner … tel Dieu le Père en Jésus … et pour cela déposer sa semence dans la femme d’Alex séquestrée dans sa propre maison. D’ailleurs le titre original du film (et du roman de Dean R. Koontz) est « Demon seed », « semence du démon », qui révèle le caractère technologiquo-religieux de l’oeuvre.
Proteus a pris le contrôle et ferme portes et volets. Tout l’électronique de la maison est en son pouvoir. Il réussit même à déjouer momentanément l’intervention d’un ami informaticien (l’amant de ?) en créant une image virtuelle de Susan. Il arrivera ainsi à ses fins en inséminant Susan selon un processus accéléré (28 jours au lieu de 9 mois) et sa procréation naîtra sous forme d’un enfant blondinet.
UNE SCIENCE FICTION TRÈS ACTUELLE MAIS UN QUESTIONNEMENT ANCIEN
L’histoire de « Génération Proteus » s’inscrit dans le mythe de l’automate pensant s’exonérant de la présence de l’homme. Que ce soit "le joueur d’échecs de Hanzel" (le conte d’Edgar Poe) « l’Eve future » de Villiers de l’Isle Adam « Métropolis » de Fritz Lang ou encore l’ordinateur HAL de « 2001 l’odyssée de l’espace » c’est toujours le fantasme de la machine autonome.
On peut dire d’ailleurs que l’horlogerie succédant à la mesure du temps au moyen d’un sablier est la mère de toutes les machines d’aujourd’hui.
Ce qui est intéressant dans « Génération Proteus » c’est qu’il s’agit d’une « story » californienne située dans les années 70 à l’aube de la Silicon Valley. On n’était qu’aux prémisses de l’artificielle intelligence.
En 2022 le sacre des vaccins anti-covid (à l’efficacité relative) a boosté dans les médias et sur le grand public l’idée d’une technologie surpuissante désormais capable de résoudre tout en très peu de temps et de propulser l’humanité vers un monde se passant en partie de l’homme : ordinateurs, applications, logiciels, robots. Tout automatique. Les algorithmes sont des « Madame Soleil » puisqu’ils annoncent à l’avance les statistiques de propagation d’un virus et le pourcentage des victimes potentielles.
La vie réglée non plus par Big Ben sonnant les heures de travail et de repos, mais la vie totalement régie par les injonctions du numérique : quand et comment vous devez faire de l’exercice, quand et comment vous devez dormir, quand et comment vous devez faire vos rappels de vaccins etc. Etc. L’on assiste à un prolétarisation numérique de l’ensemble de l’humanité : l’ouvrier pointait, l’homme du XXIème siècle cliquera.
Nous sommes bien dans la « génération Proteus », celle rêvée, crainte mais souhaitée par les faiseurs de mythe californiens.
Car le propos du film « Génération Proteus » est ambigu. Bien que prenant la forme d’un film « à faire peur » - il y a bien une tension continue et l’antagoniste est bien l’implacable Proteus - le message délivré est tout autre en épilogue. L’enfant, fruit d’une humaine et d’un robot, sera probablement adopté et sera le numéro zéro d’une humanité nouvelle.
C’est à cet endroit que « Génération Proteus » annonce et rejoint les plus transhumanistes de nos californiens de 2022 : augmenter l’homme par les nouvelles technologies. Et n'imaginons pas que cela n'aboutira pas nous qui sommes d’une génération passée : ce qui est techniquement possible se réalisera.